Ces 3 vilains petits secrets qui expliquent largement nos échecs répétés face à la pandémie

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Ces 3 vilains petits secrets qui expliquent largement nos échecs répétés face à la pandémie

Le gouvernement est confronté à trois difficultés majeures dans le cadre de la lutte contre la pandémie.

Laurent Chalard et Edouard Husson



Le gouvernement a peur des Français et tombe dans le piège d’une illusion de démocratie directe

Edouard Husson : Il faut en effet partir d’un constat simple. L’autorité de l’Etat est en chute libre. Depuis vingt ans, la classe politique n’a jamais autant parlé d’immigration et de sécurité mais les budgets qui ont le plus souffert du « en même temps » qui caractérise la classe politique depuis François Mitterrand (je fais l’euro et en même temps je développe une des protections sociales les plus coûteuses du monde et en même temps j’ouvre grand les frontières à une immigration incontrôlée et en même temps je casse la machine à assimiler de l’Education Nationale etc....) ce sont les budgets régaliens. Les gouvernements successifs sont de moins en moins capables d’exercer le « monopole de la violence légitime » qui revient à l’Etat. Ils ont peur de la vraie démocratie directe, celle du référendum. Ils savent que chaque élection présidentielle est devenue une loterie. Alors ils développent une sondagite aiguë; mais les sondages ne sont que des instantanés ! Ou plutôt, les enquêtes d’opinion qui comptent, ce sont celles qui sont le moins commandées: sur des tendances de fond. Cela fait longtemps que les Français souhaitent une réduction de l’immigration, drastique. Evidemment, si vous demandez à quelqu’un s’il condamne le racisme, il va vous dire oui parce que son désir de contrtôler les frontières est le contraire du racisme: c’est un réflexe de bon sens pour éviter la montée des tensions entre communautés dans le pays. Mais les politiques ayant peur de la démocratie directe et indirecte se réfugient dans un deuxième règne de l’éphémère, qui accompagne celui des sondages mal formulés: les plateaux de télévision, le débat des experts, la médiacratie. Or les journalistes, sociologiquement et politiquement, ne représentent pas la société française. Vous n’avez qu’à voir comment en ce moment ils réclament à cor et à cri un reconfinement: ils n’ont jamais été confinés, même au printemps dernier !

Appliqués à la crise du COVID, les dysfonctionnements que nous venons de décrire produisent la catastrophe que nous savons: enfermement des personnes âgées, définition arbitraire par l’Etat de ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas, microgouvernement, recours à la dette pour éviter d’avoir à prendre des décisions tranchées, décalage croissant entre le discours du confinement et la pratique du laisser-faire.

Laurent Chalard : Le gouvernement redoute la réaction du peuple et il s’agit d’un héritage de la crise des gilets jaunes. Lors de cette crise, nous avions vu une partie de la France périphérique manifester son mécontentement suite aux taxes sur l’automobile. Suite à cet épisode, le gouvernement semble exprimer une peur de la rue et il a tendance à s’attarder sur les sondages d’opinion pour prendre des décisions. Lorsque les sondages laissent à penser que la rue est encline à telle ou telle décision, il va aller dans le sens de cette dernière. Si un sondage lui indique que la population est opposée aux restrictions, il aura tendance à ne pas les renforcer afin de ne pas favoriser l’émergence de mouvements de contestations plus globaux.

La seconde peur vient des « banlieues » au sens large. Au sein des élites, on semble penser que ces territoires sont réticents à toute forme d’autorité. Si on leur impose des décisions qu’ils ne souhaitent pas à travers les forces de l’ordre, il peut alors planer un risque d’émeutes. Lors des dernières vacances scolaires, des incidents ont eu lieu dans la banlieue lyonnaise et le gouvernement a alors constaté qu’il ne fallait pas effectuer « un tour de vis » sur les limitations de déplacement pour éviter les embrasements. Cette peur a quelque chose d’ irrationnel. Elle tient sur un raccourci où ces populations ne seraient pas à même de comprendre que cela va de leur intérêt de protéger leurs proches. Il faut alors indiquer que les quartiers populaires paient un lourd tribut durant la crise sanitaire et qu’elles peuvent comprendre les prises de décisions coercitives si cela va de l’intérêt général.

Le gouvernement sent que l’administration ne répond plus vraiment aux commandes

Edouard Husson : J’aurais tendance à inverser les facteurs. L’administration est en roue libre parce qu’il n’y a pas de gouvernement. En fait, la France n’a pas de président mais un hyper-premier-ministre atteint de logorrhée et tendant au micro-gouvernement. Le Premier ministre est transformé en porte-parole en chef. Les cabinets ministériels sont censés se coordonner mieux qu’auparavant avec les administrations centrales mais en fait ils laissent faire ces dernières parce qu’il n’y a plus d’autorité politique. Contrairement à ce qu’on croit, l’administration suivrait si 1. Elle recevait des instructions politiques. 2. Les ministres et leurs cabinets s’occupaient du suivi des décisions. Gouverner, c’est le contraire de la com: c’est ingrat, il faut sans cesse vérifier que les choses sont mises en place, que les calendriers sont tenus. Quand un bureaucrate bureaucratise, il faut le ramener à la mise en oeuvre de la politique décidée. Ce n’est pas la faute de l’administration si, au sommet de l’Etat, on n’a pas donné un ordre strict de stopper toutes les fermetures de sites hospitaliers et même d’en rouvrir en temps de pandémie; ce n’est pas du fait des administrations ministérielles si le gouvernement a été incapable depuis un an de mobiliser massivement le service de santé des armées - sauf pour trente lits à Mulhouse.

Laurent Chalard : Il y a une sorte de consensus au sein des chercheurs à propos du principal problème de la France : la technostructure. Cela correspond au sommet de l’organisation administrative de l’État, tout ceux qui occupent les postes sont formatés par les mêmes écoles dont l’ENA. Ce manque de diversité dans la formation de ces élites fait qu’elle entraîne un manque d’adaptation face à tout problème qui sort de la gestion habituelle de l’État. Aujourd’hui, avec la crise sanitaire, on voit que la technostructure n’arrive à s’adapter car elle reste dans sa logique gestionnaire, bureaucratique. Un bon exemple de cela reste la mise en place des attestations de déplacement.

C’est un problème majeur dont semble avoir pris conscience Emmanuel Macron. Pourtant, il semble piégé car étant lui-même énarque, il est difficile de mettre au ban des personnes de sa caste et de promouvoir ceux de l’extérieur. Cela serait compliqué pour lui de remplacer ceux qui l’ont aidé à prendre le pouvoir. Dans les autres pays européens, il faut rappeler que l’on n’a pas ce système d’une technostructure formatée par une seule école. On retrouve au pouvoir des personnes issues des mêmes universités, mais pas de la même formation.

Le système français est d’ailleurs critiqué par d’autres pays comme les Allemands. Ils soulignent que lorsqu’ils sont face à la technostructure, ils ne sont pas face à des gens qui connaissent la discipline mais formés à parler de sujets divers et variés sans connaissance profonde. À travers le président de la République, on voit cela lorsqu’il s’improvise épidémiologiste.

L’administration méprise la société civile et le privé et préfère entraver tout ce qui ne procède pas d’elle

Edouard Husson : Là encore, je ne jetterais pas la pierre à la seule administration. Oui, si on la laisse faire, elle est en roue libre et on se retrouve dans la situation immortalisée par le feuilleton britannique « Yes Minister ». Mais nous avons la fonction publique la mieux formée au monde ! Le problème, c’est qu’on laisse accéder les hauts fonctionnaires à la vie politique sans qu’ils aient à démissionner de leur statut protégé et à repartir du bas s’ils voulaient revenir dans la haute fonction publique. Un autre problème tient à ce qu’on a laissé proférer l’administration, en particulier la fonction publique territoriale parce que c’était plus facile de créer des emplois publics à l’abri des possibilités d’endettement sans risque que procurait l’euro, plutôt que de faire le choix de la compétitivité du pays. Le plus grave dans la crise du COVID, c’est ce qu’elle a révélé de notre dépendance: 1. Aux décisions des autres pays; 2. A la production des autres pays.

Laurent Chalard : Sur ce sujet on revient à la logique de caste. Lorsque tout le monde est issu de la même formation, il y a une tendance automatique de défense de son « pré-carré ». On va voir d’un mauvais oeil l’arrivée de personnes issues d’autres formations ou de spécialistes dans leur discipline qui vont montrer qu’ils ne sont pas compétents. Un énarque parlant de biologie avec un docteur en biologie fera pâle figure. La technostructure n’a nullement envie de voir les experts et spécialistes s’emparer du pouvoir décisionnel, ils veulent le garder « quoi qu’il en coûte ».

Il y a une difficulté à se remettre en cause car si l’on a été formaté à être le meilleur, on a tendance à le penser. On accorde alors peu d’importance aux autres car on se considère comme supérieur intellectuellement. C’est une vieille problématique très française. Il faut rappeler que la France est réputée pour son arrogance et pour son attachement aux diplômes, aux médailles. À l’inverse, en Allemagne, on juge à la qualité du travail fourni et non à la qualité du diplôme. La technostructure, elle, est considérée comme supérieure intellectuellement aux autres car elle a eu un diplôme à un moment donné. Et l’efficacité n’est pas au rendez-vous… La France est en train de répéter la même erreur que dans les années 1930. Il faut rappeler que Marc Bloch, dans son livre L’Étrange Défaite, attribuait la défaite de 1940 à la technostructure issue de l’École Polytechnique dont provenait une large partie des élites dirigeantes de l’époque. Après la guerre, nous avons pourtant réitéré la même erreur et petit à petit reconstitué une élite dirigeante monolithique.

Auteur(s)

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli.

Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure (1988, aujourd’hui école de l’Université PSL), agrégé d'histoire (1992) et docteur de l'Université Paris-Sorbonne (1998, aujourd’hui membre de Sorbonne Université), Edouard Husson a été chercheur à l'Institut für Zeitgeschichte de Munich (1999-2001) et chercheur invité au Center For Advanced Holocaust Studies de Washington (en 2005 et 2006). Il a co-fondé le CERRESE (Centre Européen de Ressources pour la Recherche et l'Enseignement sur la Shoah à l'Est), dont il préside toujours le conseil scientifique.

Edouard Husson a été assistant au Centre d'Etudes Germaniques de l'Université de Strasbourg (1995-1998), maître de conférences à l'Université Paris-Sorbonne (2001-2009) et chargé de cours magistral au 1er cycle franco-allemand de Sciences Po (campus de Nancy) (2001-2009). Il a été élu en mai 2009 professeur à l'Université de Picardie-Jules Verne (Amiens) puis en 2018 à l’Université de Cergy-Pontoise.

Entre juillet 2009 et août 2010, il a travaillé auprès de Valérie Pécresse, Ministre de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, en charge des sciences humaines et sociales. Il était en même temps rapporteur des travaux du Conseil pour le Développement des Humanités et des Sciences Sociales (CDHSS).

D’août 2010 à août 2012, il a occupé les fonctions de Vice-Chancelier des universités de Paris. Il assistait le Recteur de l'académie sur les questions relatives à l’enseignement supérieur, sur les questions communes aux enseignements secondaires et supérieurs et dans les affaires de la Chancellerie des universités de Paris comme établissement public.

Edouard Husson est Docteur honoris causa de l’Academia Brasileira de Filosofia (2010) et Chevalier des palmes académiques. Il a été président du Conseil d’orientation de l’Université Cergy Pontoise (2013-2015), il est vice-président de la Fondation IFRAP (2013) et membre des Comités d’orientation du collège des Bernardins et de QS. Il est membre du Conseil Scientifique de la Fondation Charles de Gaulle.